Dans la province du Sud-Kivu, suite à l'arrivée, ces derniers mois, de dizaines de milliers de personnes nouvellement déplacées, les structures sanitaires de la zone de santé de Minova ont été submergées par de dizaines de blessés de guerre, ou encore de nombreux enfants malnutris à prendre en charge, sans compter les patients qui ont besoin de soins de santé primaires. Ces familles déplacées survivent avec un accès extrêmement limité à l'eau potable, à la nourriture et à des abris. Si la violence et la plupart des déplacements se concentrent dans le Nord-Kivu, Médecins Sans Frontières (MSF) appelle également à la protection des civils et à l'augmentation de l'aide humanitaire dans le Nord du Sud-Kivu où les affrontements se poursuivent simultanément.
Fin janvier, les combats entre le groupe M23, les Forces armées congolaises (FARDC) et les milices alliées se sont intensifiés dans plusieurs régions du Nord-Kivu et une nouvelle ligne de front a été établie à la frontière avec le Sud-Kivu. Les échanges nourris de tirs et d'artillerie entre les parties belligérantes ont donné lieu à de multiples incidents impactant les civils vivant à proximité. Des projectiles sont notamment tombés sur des sites accueillant des personnes déplacées, dans des zones résidentielles de la ville de Minova et des villages environnants, ainsi que sur des bateaux en bordure du lac Kivu. Entre début février et fin mai, plus de 300 blessés de guerre ont été soignés à l'hôpital général de Minova soutenu par MSF : 15% d'entre eux étaient des femmes et des enfants.
« Les niveaux de violence pour la population civile sont particulièrement élevés. Depuis février, le protocole de gestion d'un afflux important de patients blessés a dû être activé à plusieurs reprises à l'hôpital. Le personnel de santé a travaillé 24 heures sur 24, sous une forte pression et avec des ressources limitées", explique Luis Montiel, coordinateur MSF pour le Sud-Kivu.Luis Montiel, coordinateur MSF pour le Sud-Kivu
Des dizaines de sites informels de personnes déplacées
Selon l'OIM, plus de 120 000 personnes déplacées fuyant ces hostilités se sont réfugiées dans le nord du Sud-Kivu, en majorité dans la zone de santé de Minova, qui a déjà connu cinq grandes vagues d'arrivées depuis 2023, dont trois depuis janvier 2024. La majorité de ces personnes vivent dans des conditions extrêmement précaires, dispersées dans plus de 60 sites tels que des camps informels, des écoles et des églises, la plupart au sein de la ville de Minova.
« Alors que les besoins sont énormes dans la ville de Minova, les combats en cours et la volatilité de la situation rendent l'acheminement de l'aide humanitaire extrêmement complexe », ajoute M. Montiel. « La route nord vers Goma [capitale du Nord-Kivu] étant actuellement bloquée, nous envoyons du matériel par bateau via le lac Kivu et acheminons du personnel d'urgence depuis la route sud, difficilement accessible en moto, pour soutenir le ministère de la santé et les autorités locales dès que se présentent des fenêtres d'opportunité ».
Les équipes de MSF soutiennent également trois centres de santé dans la périphérie de Minova, à Cheya, Kishinji et Bobandana, à proximité de sites où vivent des personnes déplacées. Francine Bahati, enceinte de cinq mois, se souvient du jour où elle a dû soudainement abandonner son village : « J'ai fui avec un enfant dans chaque main, le bébé sur le dos, les cinq autres couraient devant moi. Les balles crépitaient tout autour. Nous avons marché sans relâche pendant cinq nuits et cinq jours pour arriver jusqu'ici. »
Le camp de Bugeri, situé à huit kilomètres de la ville de Minova, au sommet d'une colline verdoyante, est une ancienne bananeraie qui accueille aujourd'hui 11 000 personnes déplacées, soit trois fois plus qu'en janvier. Sur les collines à l'horizon, les positions militaires sont visibles. L'écho des tirs d'artillerie résonne jusqu'aux tentes. Pour les personnes déplacées, fuir à nouveau n'est pas une option : certaines ont déjà passé plusieurs semaines sur les routes, beaucoup ont perdu des proches, et toutes affichent une grande fatigue.
« Quand mon fils est venu au champ pour m'avertir que le village s'était vidé, j'ai couru vers mes enfants. Nous avons fui aussi. J'ai perdu mon mari dans la fuite. Quel chemin prendre pour le retrouver ? » questionne Florence Kahindo, désemparée. Dans le camp, la vie quotidienne pose de multiples défis. « Nous n'avons pas de bâches, nos abris suintent sous la pluie, nous sommes trempés et tombons malades », explique Neema Suzanna, mère de sept enfants.
Malnutrition en hausse
Au centre de santé voisin de Kishinji, l'équipe médicale se préoccupe particulièrement des jeunes enfants. « La diarrhée et les infections respiratoires sont les pathologies les plus courantes », explique Anaclet Kilosho, de l'équipe d'urgence de MSF. La situation, dit-il, est « aggravée par l'absence d'hygiène et le manque d'isolation des abris » et s'étend aux autres secteurs de la zone de santé de Minova, où MSF a reçu plus de 14 635 enfants de moins de 15 ans en consultation médicale de février jusqu’à fin mai.
La malnutrition est également en hausse. Les dépistages communautaires de 4 039 enfants de moins de cinq ans effectués dans quatre zones différentes depuis mars montrent des chiffres supérieurs au seuil d'urgence : 16,1 % souffraient de malnutrition aiguë modérée et 4,2 % de malnutrition sévère. L'incidence la plus élevée de malnutrition sévère a été observée dans l'aire de santé de Kishinji, où se trouve le camp de Bugeri. Au cours des trois derniers mois, les équipes de MSF ont traité 320 enfants malnutris dans le cadre de programmes d'alimentation ambulatoires et ont hospitalisé 177 enfants souffrant de complications dans le centre d'alimentation thérapeutique de l'hôpital de Minova, qui a été agrandi et a dépassé sa capacité d'accueil.
Avant la guerre, de nombreuses personnes vivaient de l'agriculture. Après avoir été brutalement arrachées à leurs terres, elles sont désormais confrontées à l'insécurité alimentaire et les distributions de nourriture sont irrégulières. Masudi Kamuke, un vieil homme de Masisi, déclare : « Avant la guerre, je possédais des terres, j'employais jusqu'à 100 agriculteurs. Nous connaissions l'abondance ». Francine Bahati cultivait les champs en échange d'un salaire suffisant pour nourrir ses 8 enfants. « Maintenant, nous risquons de mourir de faim », dit-elle avant de pointer son ventre rebondi. « Je ne sais pas ce que l'avenir réserve au bébé qui va naître. J'évite d'y penser ».
MSF apporte également un soutien en matière de santé mentale. Au cours des deux derniers mois, 89 consultations individuelles et des activités de santé mentale en groupe, notamment dans les camps, ont été organisées pour plus de 10 000 participants. 55% de ces consultations étaient liées à la violence, 26 % liées à la séparation ou la perte d’un proche.
« Il est urgent que d'autres acteurs humanitaires interviennent pour fournir une aide d'urgence, en particulier de la nourriture, des abris, de l'eau et des installations sanitaires dans le nord du Sud-Kivu, afin de réduire les niveaux croissants de malnutrition infantile et de prévenir les épidémies de maladies telles que le choléra et la rougeole », a déclaré Luis Montiel. « Afin de fournir en toute sécurité une aide humanitaire vitale, nous demandons aux parties belligérantes de protéger les civils et les travailleurs humanitaires, et de respecter les zones résidentielles et les sites où les personnes déplacées se réfugient. »
Le conflit entre le M23 et les FARDC et alliés a déplacé plus de 1,5 million de personnes dans l'est de la RDC depuis 2022. MSF mène des projets réguliers et d'urgence dans diverses régions du Nord-Kivu, en particulier à Goma et dans sa périphérie, mais aussi à Mweso, Masisi, Bambo, Kibirizi, Binza et Rutshuru.