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Paroisse camp for IDPs, Drodro

Invisibles, les cicatrices douloureuses des conflits armés

Responding to war in Ukraine
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On est en 2017, en pleine journée. Tout est calme à Rule, à une centaine de kilomètres de Bunia, le chef-lieu de la province de l’Ituri au nord-est de la République démocratique du Congo. Jeanne est chez elle lorsqu’une bande armée débarque dans les rues paisibles de son village. C’est la terreur : les hommes pillent, tuent et violent. Jeanne, sans réfléchir, s’enfuit avec sa famille. Elle laisse derrière elle les bêtes, la maison et tous ses biens. Elle pense. Son regard est profond, submergé par la tristesse.

« Lorsque nous sommes arrivés dans le camp de Godo 1, à Nizi, nous avions tout perdu. Mon mari ne l’a pas supporté. Il repensait sans cesse à tous les sacrifices qu’il avait faits pour préparer nos vieux jours et à tout ce qu’on lui avait enlevé. J’essayais de le consoler en lui répétant que  l’essentiel c’était d’être en vie. Il ne voulait plus rien entendre ».

Il s’est laissé mourir. Six mois après leur arrivée, elle était seule.

Un triste record « Après sa disparition, moi non plus je n’avais plus goût à la vie. Je ne voulais plus me laver, ni même manger. Mon corps me faisait mal. »
Addressing IDP's mental health in Ituri

Depuis 2017, la province est marquée par une escalade de violences : meurtres, viols, villages pillés et des milliers de personnes déplacées. Selon l’Office des Nations unies chargé de la coordination humanitaire, OCHA, 1,7 millions de personnes vivraient loin de leur foyer pour des raisons de sécurité - le plus grand nombre de personnes déplacées après la Syrie, un rang qu’aucun pays ne peut envier. Ces personnes sont regroupées dans plus de 60 sites ou dans des familles d’accueil où les conditions de vie étaient, avant même leur arrivée, déplorables ;  elles manquent de tout, nourriture, eau potable, hygiène voire un toit … digne de ce nom.

Les conséquences sont dévastatrices pour la santé mentale des individus, incapables de se projeter dans un futur plus qu’incertain ou durablement affectés par la perte de proches. Les personnes qui développent des troubles de santé mentale (que ce soit de l’anxiété, une dépression ou une réaction post-traumatique) ont besoin d’aide. Urgemment.

Le système de santé publique en RDC n’est pas équipé pour faire face à de telles difficultés. Depuis septembre dernier, Médecins sans Frontières a donc décidé de l’épauler en mettant en place un volet de santé mentale dans les zones de santé de Drodro, Nizi et Angumu. Les équipes informent les communautés pour les engager à identifier les personnes en détresse psychologique ; elles organisent des consultations individuelles et des activités de groupe thérapeutique où chacun peut apprendre de l’autre, partager ses expériences et les mécanismes pour s’en sortir. 

« Nous avons eu une nette augmentation de consultations depuis le début de nos activités », selon Phoebe, la responsable de ce projet de santé mentale en Ituri. Ce constat ne vient que confirmer la souffrance que l’on observe et l’importance que revêt ce soutien psychologique pour les familles. « Certains ont été témoins de scènes d’horreur. Quand ils arrivent dans le site, ils sont complètement traumatisés. Ils développent des problèmes psychiques, surtout des cauchemars, et une angoisse permanente de revivre les mêmes événements », se désole Grâce, psychologue pour MSF à Nizi.

Ces psychoses peuvent aboutir à une déconnexion complète de la réalité. C’est pourquoi ces symptômes doivent être pris en charge rapidement : ils ont un impact sur tout leur entourage. “Une mère qui développe des problèmes de santé mentale ne peut plus s’occuper correctement de son enfant, un homme peut aussi devenir violent envers les membres de sa famille.”

Les pathologies mentales se manifestent également par des troubles psychosomatiques. Prévenir et guérir : le personnel de santé mentale travaille en étroite collaboration avec le personnel médical spécialement formé pour référer ce type de cas. 

 

TB treatment at MSF clinic, In Homa Bay District Hospital
Phoebe Atieno Okho est une trentenaire mère de cinq enfants entre 5 et 16 ans. Elle approche de la fin de son traitement contre la TB-MR et se rend à l'hôpital tous les jours pour prendre ses médicaments. Elle est sous traitement depuis 18 mois maintenant, il lui reste donc encore 2 mois. Pendant son traitement, elle souffrait de psychose sévère, elle était violente et ne pouvait pas contrôler son humeur
Olga Victorie/MSF

Comment survivre

Les réminiscences du passé plongent de nombreux hommes dans l’addiction, notamment l’alcool, bon marché. Pour lutter contre cette problématique, Grâce organise régulièrement des séances de prévention dans les sites  de Nizi sur les dangers qu’une telle consommation implique. Lors de l’une d’entre elles, huit hommes sont réunis pour partager leur quotidien et leur expérience. «Il m’arrive de boire pour oublier que j’ai tout perdu, que je ne peux pas offrir un avenir à mes enfants», explique Germain, 28 ans qui, depuis deux ans, vit avec sa femme et ses deux enfants dans le camp de Godo I. Ce jeune père de famille souffre de la promiscuité, des conditions de vie insalubres et du vide abyssal qu’il ressent lorsqu’il pense à l’avenir. 

Grâce leur donne la parole, l’un après l’autre. Sans aucun jugement.

« La plupart de nos patients sont des femmes. Elles se plaignent beaucoup des hommes, expliquent qu’ils ont baissé les bras, qu’ils ne font plus rien. Qu’ils commencent à boire. Elles ont l’impression de se battre seules », constate Phoebe, responsable MSF pour les activités mentales en Ituri. 

Boire pour oublier, échapper à cette âpre réalité : un acte de désespoir contre lequel Grâce ne cesse de mettre en garde. Après avoir écouté ses patients, elle entre dans les détails des effets dévastateurs que pourrait avoir l’alcool sur leur santé et le quotidien de leur entourage. « Nous leur offrons un espace de parole pour qu’ils puissent reprendre confiance en eux et croire en un futur meilleur »,  résume-t-elle.

Jeanne en est convaincue qui, après avoir suivi des séances de groupe et une thérapie individuelle, dit avoir trouvé le courage de relever la tête. Et d’affirmer : « Aujourd’hui, grâce à ce suivi psychologique, je vais mieux. Je me donne le droit d’exister.»

MSF fournit une assistance médicale aux populations de l'Ituri depuis le début du conflit,  au début des années 2000. A l’offre de soins de santé primaire s’ajoute le traitement des maladies endémiques comme le paludisme, les maladies respiratoires infectieuses graves, la diarrhée et la rougeole, des pathologies meurtrières dans cette région. MSF est présent dans plusieurs hôpitaux généraux, les centres de santé et les sites de soins communautaires des sites de personnes déplacées des régions de Nizi, Drodro et Angumu, dans la province oubliée de l’Ituri. Ce sont des interventions essentielles pour le bien-être des générations à venir.