En ce matin du début du mois de mai, l’hôpital général de référence de Masisi, situé à cinq heures de route de Goma, la capitale provinciale du Nord-Kivu, déborde. Ici, deux à trois enfants malnutris partagent le même lit ; là, on installe des tentes pour accueillir les blessés par balle et par arme blanche. Partout où l’on regarde, la situation reflète la réalité des violences et des déplacements à répétition, exacerbés ces derniers mois à la suite des affrontements entre l’armée congolaise, le M23 et les nombreux groupes armés établis dans cette zone du Nord-Kivu.
Avec ses 310 lits, l’hôpital de Masisi, soutenu par Médecins Sans Frontières (MSF), est la structure de référence pour les 26 aires de santé environnantes. C’est ici qu’atterrissent tous les patients dans un état grave ou avec des complications médicales. Jour après jour, entre ces murs, on soigne les maux d’une population qui tente de survivre malgré des années de violence quotidienne.
Deux fois plus de patients que de lits
Dans le couloir qui mène à la salle où les enfants malnutris sont pris en charge, des pleurs et des cris retentissent. Le personnel soignant s’affaire à monter et déplacer des lits dans une salle adjacente pour désengorger l’espace. L’unité nutritionnelle intensive de l’hôpital à une capacité normale de 18 lits mais au cours des dernières semaines, le nombre d’enfants y étant hospitalisés a grimpé jusqu’à 40.
Cet afflux de patients est une conséquence directe de la violence. A la suite de violents affrontements armés qui ont eu lieu au mois de janvier, au moins 41 000 personnes sont venues se réfugier dans la zone de santé de Masisi
Louise* et son fils d’un an et demi font partie de cette dernière vague de déplacés. Fuyant les affrontements à Kitchanga, à une trentaine de kilomètres à vol d’oiseau, ils se sont établis en mars sur le site de déplacés de Masisi-Centre. Quelques semaines après leur arrivée, l’enfant a commencé à développer des signes de malnutrition et a été admis à l’hôpital il y a trois jours.
« À Kitchanga, je cultivais des haricots, du manioc, des patates douces, … Mais ici, je gagne seulement un peu d’argent en transportant du bois de chauffage », explique Louise. « Cela suffit à peine pour faire un repas par jour ; quand nous ne nous endormons pas le ventre creux. C’est la guerre qui nous a amené cette vie de misère. »
Deux ans après l’instauration de l’état de siège dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, la violence et la prolifération des armes dans le territoire de Masisi continuent de faire des ravages. De janvier à mars 2023, 110 blessés par armes à feu ont été soignés à l’hôpital général de référence de Masisi. Parmi eux, les deux jeunes enfants d’Agathe*, âgés respectivement de 2 et 3 ans, allongés sur un lit les jambes plâtrées.
« Des bandits sont venus menacer notre voisin ; ça a mal tourné et ils ont commencé à tirer à l’aveugle dans la rue »Agathe
« Des bandits sont venus menacer notre voisin ; ça a mal tourné et ils ont commencé à tirer à l’aveugle dans la rue », se souvient Agathe, en serrant dans ses bras son nouveau-né d’à peine un mois. « Des balles ont transpercé les planches de la maison et touché les deux petits qui dormaient dans le même lit. L’un a reçu une balle dans le tibia et l’autre deux balles au niveau des talons. De les voir souffrir autant, j’en ai des vertiges et le cœur qui s’accélère. J’ai encore du mal à comprendre comment on en est arrivés là. »
Une urgence sans fin
C’est en 2007 que Médecins Sans Frontières (MSF) commence à appuyer l’hôpital général de référence de Masisi, alors que le territoire est le théâtre de violents affrontements entre groupes armés.
Quinze ans plus tard, la paix se fait toujours attendre dans cette partie de l’est de la République démocratique du Congo (RDC) qui accueille 470 000 personnes déplacées selon de récentes estimations, soit un cinquième de l’ensemble des déplacés du Nord-Kivu.
À Masisi, l’insécurité ne s’est jamais arrêtée, l’urgence non plus. Pourtant au fil des ans, la plupart des organisations humanitaires ont quitté la zone. Or, après un semblant d’accalmie en 2021, tous les indicateurs ont à nouveau viré au rouge depuis le début de l’année 2022. L’année dernière, plus de 740 victimes de violences sexuelles ont été prises en charge par MSF à Masisi et déjà 165 rien qu’au premier trimestre 2023.
« On voit des victimes de violences sexuelles qui reviennent pour la deuxième ou la troisième fois… », témoigne Alice, une des conseillères psychosociales de l’hôpital. « Violences sexuelles et physiques, déplacements, perte d’être chers, pillages, … Ici, la population vit des événements traumatisants à répétition. On finit tous par vivre dans la psychose du prochain épisode violent. »
A l’abri des regards, derrière des rideaux colorés, Alice et les autres conseillers psychosociaux présents à l’hôpital tentent, jour après jour, de soulager les blessures invisibles qui, souvent, s’ajoutent aux maux physiques. « Vivre à Masisi est extrêmement stressant. Personne n’est à l’abri. La plupart des personnes que nous soignons montrent des signes d’anxiété, d’hypervigilance et de tristesse. Certaines vont jusqu’à avoir des pensées suicidaires. Beaucoup ont perdu tout espoir », explique-t-elle.
L’orage gronde sur les hauteurs de Masisi et sur les toits de tôle de l’hôpital, la pluie fait un bruit assourdissant. Chaque patient se presse de regagner son lit. Pour quelques jours encore, le temps que leurs enfants se rétablissent, Agathe et Louise bénéficieront du refuge précaire qu’offre l’hôpital. Ensuite, elles devront rentrer chez elles. « J’ai peur de retourner chez moi mais qu’est-ce que je peux faire ? Nous n’avons pas le choix, nous n’avons nulle part d’autre où aller », se désole Agathe.
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MSF soutient à l’heure actuelle l’ensemble des services de l’hôpital général de référence de Masisi où plus de 14 500 admissions ont eu lieu en 2022. MSF appuie également quatre centres de santé (Masisi, Nyabiondo, Muheto, Ngomashi), dont certains sont particulièrement reculés, afin de faciliter l’accès à des soins médicaux gratuits, y compris aux communautés les plus isolées. Régulièrement, l’équipe de MSF répond à des flambées de choléra et de rougeole, deux maladies endémiques dans la zone, dont la propagation est exacerbée par les fréquents déplacements de population.
*Le nom a été modifié.
*Le nom a été modifié.