« On était toute la famille au champ en train de travailler quand il y a eu les tirs. On s’est enfuis et on a marché trois heures jusqu’à Rumangabo sous la pluie », raconte Ponsie Benda, 54 ans. Ce père de 13 enfants a trouvé refuge depuis le mois de juin à l’école primaire du Parc National des Virunga, à Rumangabo, lorsque les affrontements entre le groupe armé M23 et l’armée congolaise se sont rapprochés de son village. « On n'a même pas pu repasser à la maison. On est partis avec ce qu’on avait sur nous. »
190 000 personnes dans le besoin
Comme Ponsie,plus de 190 000
C’est le long de la route nationale qui relie Rutshuru à Goma, la capitale du Nord-Kivu, que la plupart des personnes se sont rassemblées, souvent dans des sites surpeuplés.
Lorsque Ponsie est arrivé avec sa famille à Rumangabo, les salles de classe de l’école étaient déjà pleines et ils n’ont eu d’autre choix que de s’installer dehors, dans la cour.
Au stade de Rugabo à Rutshuru-centre, plus de 1400 familles sont rassemblées. Le Haut-Commissariat aux Réfugiés a construit des abris communautaires, mais malgré tout, les conditions restent extrêmement précaires : environ 35 familles partagent une tente de dix-huit mètres sur cinq.
« Quand il pleut, l’eau inonde le sol dans les abris et on passe la nuit dans l’eau », décrit Agrippine N’Maganya, 53 ans.
Agrippine est arrivée à Rutshuru avec six de ses dix enfants il y a plus de quatre mois. « Les autres doivent être en Ouganda aujourd’hui… Je n’ai aucune nouvelle d’eux depuis la fuite », s’inquiète-elle.
« La promiscuité dans les sites de déplacés, combinée au manque de douches et latrines en suffisance, est un facteur majeur de risque en cas de propagation de maladies infectieuses, telles que la rougeole ou le choléra", souligne Bénédicte Lecoq, coordinatrice d'urgence pour Médecins Sans Frontières (MSF) à Rutshuru.
« Les gens ont le ventre vide »
Au manque d’abris, s’ajoute le manque de nourriture. « Nous n’avons rien à manger. Parfois, les gens de mon village que je connais me donnent un peu de nourriture qu’ils récupèrent dans les quartiers », explique Obed Mashabi, 20 ans, réfugié au stade de Rugabo depuis fin mars. Même son de cloche du côté de Ponsie : « On mange des feuilles bouillies du lundi au dimanche. Ma femme prend ça dans les champs des autres en demandant aux propriétaires. Il y a de l’entraide car les habitants savent dans quelle souffrance nous sommes. Ils partagent le peu qu’ils ont. »
« Les gens que nous soignons ont le ventre vide. Sans une augmentation urgente des distributions alimentaires, la situation pourrait encore se dégrader », insiste Bénédicte Lecoq.
À l’hôpital général de référence de Rutshuru, l’unité de prise en charge des enfants sévèrement malnutris, appuyée par MSF, ne désemplit pas depuis plusieurs semaines, avec un taux d’occupation des lits de 140%.
Dans les structures de santé que les équipes de MSF soutiennent dans les territoires de Rutshuru et Nyiragongo, la moyenne de consultations dépasse bien souvent une centaine par jour. Les trois principales maladies observées sont le paludisme, les infections respiratoires et la diarrhée.
« Vu l’ampleur des besoins, nos équipes ne peuvent pas être partout. Les structures de santé sont débordées et manquent cruellement de médicaments. Face à cette urgence, il est essentiel que plus d'acteurs se mobilisent pour que toute la population puisse bénéficier de soins gratuits », explique Bénédicte Lecoq.
Au-delà des besoins immédiats, les conséquences à long terme pour les communautés affectées sont aussi une source de préoccupation. Majoritairement dépendantes de l’agriculture, le manque d’accès à leurs champs pendant des semaines, voire des mois, pourrait exacerber l’insécurité alimentaire pour des milliers de personnes dans la région.
Une assistance humanitaire limitée
Alors que la crise dure déjà depuis plusieurs mois, Agrippine, Ponsie et Obed déplorent tous le manque d’assistance humanitaire reçue jusqu’à présent. « Je n’ai jamais reçu de distribution de nourriture, ni les bassines, ni les marmites, rien », témoigne Agrippine. « Personne n’est venu ici. Si nous avions reçu de l’aide, on ne resterait pas dehors comme ça », ajoute Ponsie.
Pour Agrippine, plus les semaines passent, plus l’espoir de rentrer s’amenuise. « Je n’ai pas d’espoir de rentrer chez moi bientôt. Il n’y a aucune amélioration », dit-elle, lasse. Un découragement que partage aussi Ponsie : « Pourquoi il y a toujours la guerre au Nord-Kivu ? Ce n’est pas la première fois que nous fuyons. Je ne sais pas comment mes enfants peuvent grandir dans la guerre. »
La récente flambée de violence dans les territoires de Rutshuru et de Nyiragongo ne fait qu'aggraver une situation humanitaire déjà désastreuse avec environ 1,6 million de personnes déplacées et plus de 2,5 millions de personnes dans le besoin dans la province du Nord-Kivu en juin 2022
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Que font les équipes de MSF ?
Nos équipes continuent d’adapter leur réponse selon l’évolution de la situation et des besoins. Nous soutenons les centres de santé de Rubare, Kalengera, Munigi et Kanyaruchinya, et avons installé deux cliniques temporaires au stade de Rugabo à Rutshuru-centre et à côté du poste de santé de Rumangabo, où de nombreuses personnes déplacées sont rassemblées. MSF a également construit des latrines et des douches sur plusieurs sites, et contribue à améliorer l’approvisionnement en eau. A Munigi notamment, nos équipes apportent de l’eau potable chaque jour sur quatre sites, en plus du centre de santé, et ont distribué de kits d’hygiène - incluant du savon, des jerrycans et des serviettes hygiéniques - à plus de 1000 ménages.
MSF est également présente dans le territoire de Kisoro, en Ouganda, pour apporter son assistance aux personnes qui ont fui de l’autre côté de la frontière. Nos équipes soutiennent le centre de santé de Bunagana et l’hôpital de district de Kisoro. Au sein du camp de transit de Nyakabande, MSF offre des soins de santé primaire et a construit 20 abris semi-temporaires ainsi qu’une cinquantaine de douches et latrines.