- Cette semaine, les chercheurs, décideurs, cliniciens et activistes engagés dans la réponse au VIH participeront à ICASA2017, à Abidjan, en Côte d’Ivoire.
- En plein cœur de l’Afrique de l’Ouest et centrale, il n’y a pas de meilleur endroit, pour les équipes médicales de MSF et moi-même, pour mettre en lumière quelques-unes des raisons qui empêchent des millions de personnes vivant avec le VIH dans la région d’accéder au traitement vital pour elles.
- Elles doivent être prises en compte pour que le thème de cette année « une approche différente vers la fin du SIDA » se concrétise. Sans cela, nous ne parviendrons tout simplement pas à atteindre les 4 millions de personnes qui vivent dans la région sans être diagnostiquées et ni traitées pour la maladie.
Chaque patient du SIDA que nous voyons arriver dans les hôpitaux en République Démocratique du Congo (RDC), en Guinée ou en République centrafricaine (RCA) témoigne d’un terrible échec pour nous, médecins : l’échec du système de santé à fournir un traitement antirétroviral (TAR) au moment opportun et en continu, pour sauver des vies.
En Afrique de l’Ouest et centrale, fin 2016, seules 42 % des personnes vivant avec le VIH avaient l’accès aux tests, 35 % des personnes diagnostiquées recevaient des antirétroviraux, et seulement 25% avaient une « charge virale supprimée ». A l’ère du « tester et traiter tout le monde », on meurt encore du SIDA. Nous voyons de plus en plus de personnes arrêter leur traitement . Quand ils reviennent dans le circuit de soins, leur traitement est vraisemblablement moins efficace. Beaucoup font face à une souffrance terrible et à la mort. C’est ce que nous voulons prévenir, en tant que travailleurs médicaux. Car, à l’arrivée, c’est à ceux à qui nous prodiguons des soins médicaux que nous devons rendre des comptes, et non aux gouvernements ou aux donneurs.
Un grand nombre de barrières se dresse encore entre les personnes vivant avec le VIH et le traitement qui permet de sauver des vies, notamment la stigmatisation omniprésente, les blocages juridiques et politiques et une réticence à inclure la société civile et les communautés pour améliorer et étendre la réponse au VIH. Les conflits en cours dans des pays comme la RCA ou la RDC apportent encore plus de complexité.
Pourtant, les barrières les plus fortes sont de loin les problèmes récurrents d’approvisionnement et les ruptures de stock des produits VIH les coûts élevés pour les patients. Dans le même temps, les niveaux de financements internationaux diminuent, ce qui contraste fortement avec les engagements politiques pris afin d’accélérer la réponse VIH en Afrique de l’Ouest et centrale.
En RDC, par exemple, notre personnel est régulièrement témoin de l’impact des ruptures de stock et des pénuries de médicaments et diagnostics. Ceci implique que les personnes ne peuvent pas être testées ou démarrer un traitement. Celles déjà sous traitement risquent de développer des infections opportunistes ou de développer une résistance virale, ce qui réduit considérablement leurs chances de survie.
Beaucoup de systèmes d’approvisionnement de l’Afrique de l’Ouest et centrale ne sont pas flexibles, ni réactifs aux demandes des personnes vivant avec le VIH. Les produits restent bloqués au niveau des points de distribution centraux, n’atteignant jamais en réalité ceux qui en ont besoin. Toutefois, sans un approvisionnement suffisant et régulier, l’organisation de réapprovisionnement des médicaments pour les patients, comme le modèle R6M, testé en Guinée, ne sera pas possible.
Les frais des usagers devraient également être supprimés et des solutions alternatives trouvées pour empêcher les usagers des services de payer les soins. Dans beaucoup de pays de la région, les personnes vivant avec le VIH doivent payer pour les consultations, l’accès à leur dossier, les tests médicaux exigés et les médicaments contre les infections opportunistes. Ces frais les empêchent de démarrer le traitement TAR ou de le continuer. Les personnes qui ont besoin de soins hospitaliers font aussi face à des dépenses excessives .
Au Centre Sida de MSF à Kinshasa, une étude MSF (2016) menée auprès du personnel de santé, des soignants et des personnes qui arrivent avec un stade avancé d’immunodéficience a révélé que ces dépenses pour les soins et les médicaments expliquent en grande partie pourquoi ces patients sont tombés malades et ont différé leur demande de soin. A Bangui, en RCA, les personnes vivant avec le VIH ont récemment expliqué à MSF qu’ils étaient facturés 2,7USD pour un test de dépistage et 9USD pour un mois d’approvisionnement en TAR - une fortune pour la plupart d’entre eux ; c’est la raison pour laquelle beaucoup se découragent et renoncent aux soins.
Le manque de financement international actuel risque par ailleurs de limiter les ressources nécessaires aux interventions clés de la réponse HIV. Les ressources disponibles sont en effet largement inférieures à ce dont la région a besoin pour atteindre les objectifs fixés par les gouvernements. Un « manque substantiel de financements » (selon l’ONUSIDA) menace aujourd’hui les progrès de la région et pourrait même mettre en péril les résultats positifs obtenus jusqu’ici.
Il y a, en outre, beaucoup d’incertitudes autour de la prochaine allocation du Fonds mondial et de sa capacité à soutenir l’accélération nécessaire en Afrique de l’Ouest et centrale. Il est anticipé que les allocations par pays resteront au même niveau que ces trois dernières années, voire diminueront. Certains pays craignent ainsi d’avoir à baisser le taux d’initiation au lieu de l’accélération qui était normalement prévue, ce qui aurait des conséquences dramatiques pour les personnes vivant avec le VIH, envers qui nous sommes comptables – encore une fois.
Le financement et l’appui à la société civile et aux associations de personnes vivant avec le VIH sont aussi menacés, en dépit de leur rôle central dans la réponse, largement reconnu. En Afrique de l’Ouest et centrale en particulier, ceci va davantage affaiblir le rôle clé que joue la société civile pour l’augmentation du dépistage et le traitement du VIH et les services de suivi.
Si nous ne nous attaquons pas rapidement et efficacement à ces défis, le rattrapage d’urgence régional signé en juillet 2017 ne sera rien d’autre qu’un effet d’annonce. Plus important, les personnes vivant avec le VIH ne recevront pas le traitement adéquat, et nous continuerons à laisser de côté de millions de personnes en Afrique de l’Ouest.
C’est pourquoi MSF appelle à :
- La mise en œuvre de modèles innovant de soins et de mobilisation de la communauté qui permettent aux personnes vivant avec le VIH de rester en bonne santé sous traitement, particulièrement dans les zones de conflit.
- Des soins différenciés et spécifiques, afin d’identifier rapidement et fournir un traitement aux personnes vivant avec le SIDA, permettant de les ramener dans le système régulier de soins.
- Un soutien rapide et effectif à la livraison locale des produits essentiels, et à des plans à plus long terme pour établir des chaines d’approvisionnement efficaces, combinées avec des mesures à court terme pour éviter des niveaux faibles d’approvisionnement et des ruptures de stock. Tous les niveaux de soins du VIH et de la Tuberculose (TB) doivent être gratuits, car le fardeau financier sur les personnes malades et leurs familles menacent l’accès, la continuité et la qualité des soins.
- Des financements accrus et durables, plus que nécessaires pour mettre en œuvre les stratégies clés de la réponse VIH en l’Afrique de l’Ouest et centrale.
Médecins Sans Frontières (MSF) supporte actuellement plus de 230 000 personnes vivant avec le VIH dans 19 pays, en Afrique, en Asie et en Europe de l'Est, en mettant l'accent sur des soins gratuits et de qualité. Ceci inclue des approches de dépistages et de traitement, un soutien pour l'amélioration de l'adhérence et des modèles de soins différenciés.