Le 10 janvier 2016, l'hôpital Shiara, dans le district de Razeh, au nord du Yémen, a été frappé par un projectile.
Des avions ont été vus au-dessus de la structure soutenue par Médecins Sans Frontières (MSF) dans une région où la coalition dirigée par l’Arabie saoudite avait été active. Six personnes ont été tuées et huit autres blessées. Le 15 février, l’hôpital Ma’arat Al Numan à Idlib (nord de la Syrie) a été la cible de plusieurs frappes aériennes à quelques minutes d’intervalle. Vingt-cinq personnes ont été tuées, dont un membre du personnel de MSF et neuf collaborateurs locaux de l’hôpital.
Jusqu’alors, le département ambulatoire de cet hôpital traitait environ 1 500 patients par mois et le service d’urgence recevait en moyenne 1 100 consultations. La destruction de cet hôpital a privé une population d’environ 40 000 personnes d’accès à des services médicaux dans une zone de conflit actif.
Ces évènements dramatiques survenus au Yémen et en Syrie ont donné le ton à une année marquée par des attaques contre des installations médicales. En 2016, MSF en a signalé au moins 74 (71 en Syrie et trois au Yémen) sur 34 installations de santé que nous gérions ou soutenions. En Syrie, 58 des 71 attaques ont eu lieu dans le gouvernorat d’Alep et 45 d’entre elles se sont produites entre juillet et décembre 2016, pendant l’offensive sur l’est d’Alep. Des dizaines de membres du personnel médical, de patients et de proches ont été tués par le pilonnage et le bombardement d’hôpitaux dans ces pays. Dans de nombreuses régions, MSF n’a pu maintenir une présence internationale et le personnel médical local a dû subir ces attaques et leurs conséquences tragiques avec un soutien extérieur limité.
Les attaques sur les hôpitaux ne sont pas nouvelles : le personnel et les structures de santé sont régulièrement la cible d’actes de violence. Mais la fréquence de ces incidents et le très lourd tribut qu’ils exigent sont alarmants. En Syrie, ils sont devenus une composante d’une guerre totale, une dynamique de terreur qui vise non seulement les installations médicales mais aussi les espaces publics et les convois humanitaires. Il semble que tout soit permis pour priver de soins et d’assistance les populations des zones considérées comme hostiles. Au nord du Yémen, des structures de santé, dont certaines étaient soutenues par MSF, ont été entièrement détruites par des bombardements en tapis, qui ont paralysé les services médicaux.
Que les structures de santé soient ciblées dans le contexte d’opérations menées contre le terrorisme pour priver des territoires contrôlés par l’ennemi d’infrastructures clés, ou dans le cadre d’une stratégie destinée à rendre la vie insupportable aux civils qui vivent dans des zones considérées comme hostiles, les conséquences sont les mêmes : des patients et des soignants sont tués ou blessés, les effectifs médicaux locaux sont décimés et les soins d’urgence sont perturbés à un moment où les populations en ont le plus besoin. Les services médicaux de routine sont aussi interrompus. Où l’enfant souffrant de pneumonie peut-il alors être soigné ? Que deviennent les programmes de vaccination dans une ville assiégée ?
Conséquence peut-être la plus insidieuse, cette violence instille la perception que les hôpitaux sont des lieux à craindre. Mi-2016, des communautés locales de la ville de Jasim, au sud de la Syrie, ont protesté contre la réouverture d’un hôpital, par crainte de nouvelles attaques. Au Yémen, certains ont dit se sentir plus en sécurité chez eux qu’à l’hôpital. Bombarder des hôpitaux, c’est intrinsèquement détruire les derniers havres d’humanité qu’il reste dans la guerre.
Les propos rassurants des puissances concernées – dont certaines ont directement participé aux bombardements d’hôpitaux – sont vides de sens, voire hypocrites. Le 3 mai 2016, les membres du Conseil de sécurité de l’ONU ont signé à l’unanimité une résolution (Résolution 2286) réaffirmant la protection des services médicaux et des civils dans un conflit. Pourtant, les attaques se sont poursuivies sous leur surveillance et, parfois, avec leur participation. Ces deux dernières années, quatre des cinq membres permanents du Conseil de sécurité ont, à des degrés divers, permis des attaques contre des structures médicales ou y ont participé. Le gouvernement syrien et ses alliés russes, le gouvernement des États-Unis et ses alliés afghans, et la coalition internationale dirigée par l’Arabie saoudite au Yémen et soutenue par les États-Unis, le Royaume-Uni et la France, tous ont en commun un bilan déplorable en termes de participation à des bombardements d’installations médicales.
Les auteurs de ces attaques massives sur des communautés et de ces frappes ciblées sur des structures de santé présentent des excuses en parlant de « bavures », ou nient tout en bloc, ou se justifient, ou se murent simplement dans le silence. Malgré ces gesticulations publiques, les racines de ce phénomène semblent profondes. Les moyens de faire la guerre ont évolué et les définitions traditionnelles de ce que sont la guerre, l’auto-défense, un combattant ou un civil sont aujourd’hui contestées, de même que la fourniture de soins médicaux à un ennemi malade ou blessé. Ouvrant la voie à une « utilisation illimitée de la puissance militaire par des États dans le monde
Cette année, nous aurions pu nous sentir un peu plus impuissants à chaque nouveau bombardement sur un hôpital. Au lieu de cela, nous devons trouver des moyens de prévenir les attaques sur des structures médicales. Nous devons agir afin que les auteurs de ces attaques en paient le prix politique le plus élevé possible. Tant que les intérêts militaires et politiques l’emportent sur le coût humain, et que bombarder des hôpitaux et tuer les personnes qui s’y trouvent ne provoque pas de réelle réaction, comment pouvons-nous espérer que de telles attaques prennent fin ? MSF continuera de dénoncer haut et fort ce dont nos équipes et les personnes à qui elles portent secours sont les témoins. Nous agirons en solidarité avec les citoyens concernés et les professionnels de santé sur le terrain et, point fondamental, nous continuerons d’œuvrer pour offrir une assistance humanitaire aux populations piégées dans des conflits.