À l’origine de milliers de morts dans le monde et d’un nombre record de personnes déplacées, les conflits ont été l'un des principaux facteurs de souffrance et de vulnérabilité en 2023.
Les terribles conséquences de la guerre sur la vie des gens
Mi-avril, lorsque la guerre a soudainement éclaté au Soudan entre l'armée du pays et le groupe paramilitaire des Forces de soutien rapide (FSR), nos équipes ont rapidement adapté leurs activités à la situation. Les combats ont été intenses à Khartoum, la capitale, et dans de vastes régions du pays.
De ce fait, 8,5 millions de personnes ont été déplacées, la plupart à l'intérieur du pays.
Fournir une assistance aux personnes blessées et déplacées par la guerre s'est avéré extrêmement compliqué. Les autorités locales ont bloqué l'acheminement de fournitures médicales essentielles dans les zones contrôlées par les FSR, ce qui nous a contraint à interrompre certaines activités, comme la chirurgie à l'hôpital Bashair de Khartoum. Obtenir des visas pour que des équipes internationales entrent et soutiennent le personnel soudanais épuisé est devenu difficile. En fin d'année, de nombreuses personnes restées au Soudan avaient besoin de soins, de nourriture et d'eau, tandis que celles qui avaient franchi les frontières vivaient dans des camps dans des conditions désastreuses. Nos équipes au Tchad et au Soudan du Sud ont soigné des milliers de personnes réfugiées soudanaises avec des blessures liées à la violence et des viols, ou souffrant de maladies infectieuses causées par les conditions de vie dans les camps.
Le 7 octobre, le Hamas, au pouvoir dans la bande de Gaza en Palestine, a perpétré un massacre en Israël, tuant environ 1 200 personnes et prenant plus de 250 otages. Israël a déclaré la guerre au Hamas et commencé à bombarder Gaza. Depuis lors, les forces israéliennes bombardent et attaquent sans relâche les zones résidentielles et les infrastructures civiles. Israël a également imposé un blocus total, interrompant l'approvisionnement en eau, en nourriture et autres biens essentiels. Des dizaines de milliers d’individus ont été tués. On estime que plus de 1,7 million de personnes à Gaza ont été déplacées de force et vivent dans des conditions dangereuses et insalubres ; 1,5 million sont entassées à Rafah, à la frontière avec l'Égypte.
De nombreuses structures de santé ne fonctionnent plus en raison des dégâts causés par les bombardements et les incursions, et/ou du manque de carburant pour les générateurs. Celles qui fonctionnent encore en partie sont submergées de gens, mais ont peu de personnel et pratiquement pas de matériel. Les infrastructures et le personnel soignant ont été touchés à plusieurs reprises par des frappes aériennes ou des balles. Depuis le 7 octobre, cinq membres du personnel de MSF ont été tués à Gaza. Nous pleurons profondément la perte de Mohammed Al Ahel, Alaa Al Shawa, Dr Mahmoud Abu Nujaila, Dr Ahmad Al Sahar et Reem Abu Lebdeh.
Réorienter nos activités a été difficile, tout comme obtenir du matériel. De plus, l'espace dans lequel nous pouvons prodiguer des soins en sécurité s'est réduit. La guerre pèse aussi sur la Cisjordanie, où la violence liée à l'occupation a augmenté. Nos équipes y offrent un soutien en santé mentale et soignent les personnes souffrant de traumatismes.
Fin octobre, le conflit s'est intensifié au Myanmar, entraînant une crise humanitaire aiguë. Des milliers de personnes ont été déplacées et de nombreuses structures de santé ont cessé de fonctionner à la suite d'attaques et d'évacuations. Malgré l'insécurité et les restrictions d'accès, nos équipes ont porté assistance aux personnes déplacées dans les États de Shan et d’Arakan au moyen de cliniques mobiles, puis par le biais de personnel soignant communautaire et de téléconsultations quand nos activités directes ont dû être suspendues.
Pendant ce temps, en Éthiopie, MSF s'est efforcée de répondre aux immenses besoins médicaux et nutritionnels et de soutenir les personnes touchées par le conflit dans la région d'Amhara. La guerre en Ukraine ne montrant aucun signe d'apaisement, nous avons centré nos efforts sur les services d'ambulance et le traitement des traumatismes physiques et mentaux, et fourni chirurgie, physiothérapie et consultations en santé mentale.
Soigner dans un contexte de violence chronique
Dans un conflit presque oublié en République démocratique du Congo, les personnes civiles ont continué de faire les frais des violences horribles perpétrées en 2023 par le M23 et d'autres groupes armés dans le nord-est. Des millions de personnes ont été déplacées, souvent à plusieurs reprises, dans les provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et de l'Ituri, ou forcées de passer en Ouganda et au Rwanda à cause des combats entre le M23 et les forces armées étatiques. Nos équipes ont soigné des personnes vivant dans des conditions épouvantables. Beaucoup souffraient de blessures de guerre et des conséquences de la violence sexuelle.
La capitale haïtienne, Port-au-Prince, a continué d'être le théâtre d’explosions de violence en 2023 : des groupes armés s'affrontaient entre eux et avec la police pour contrôler des quartiers de la ville. Régulièrement, des personnes ont été enlevées et rançonnées ou abattues dans les rues. Les niveaux élevés d'insécurité ont réduit à la fois l'accès des populations aux soins et la capacité de MSF à les fournir : il était parfois trop dangereux pour notre personnel de se rendre au travail et, à plusieurs reprises, nous avons dû suspendre ou fermer des structures ou services. Nos centres de Tabarre et de Turgeau ont cessé leurs activités à la suite d'incidents graves où des personnes que nous soignions ont été enlevées de force par des groupes armés — l'une d'elles a été extraite d’un bloc opératoire et une autre de l'arrière d'une ambulance avant d’être tuée dans la rue.
Forces étatiques et groupes armés ont continué de s’affronter dans la région du Sahel en Afrique, détruisant les communautés et les moyens de subsistance, et coupant les personnes des soins et des services de base. Le ressentiment vis-à-vis des gouvernements occidentaux, en particulier français, ainsi que l'évolution géopolitique au Burkina Faso, au Niger, au Mali et dans d'autres pays de la région ont posé de nombreux problèmes de sécurité et de logistique à nos équipes en 2023. Il s'agissait notamment d'accéder aux zones où les besoins étaient les plus importants et d'acheminer le personnel et le matériel. La violence n’a malheureusement pas épargné MSF. Nous déplorons la perte de nos collègues Komon Dioma et Souleymane Ouedraogo, tués le 8 février lorsqu'un groupe armé a attaqué le véhicule MSF dans lequel ils transportaient des fournitures près de Tougan, au Burkina Faso.
Répondre aux catastrophes
En février, deux puissants séismes ont frappé le sud de la Turquie et le nord-ouest de la Syrie et fait des dizaines de milliers de morts. MSF a immédiatement lancé une intervention d’urgence et fourni dans ces deux régions des soins médicaux et psychologiques ainsi que de l'eau potable, des installations sanitaires, des abris et de la nourriture.
Nous avons également envoyé des équipes en soutien aux personnes touchées en mars par le cyclone Freddy au Malawi et au Mozambique, et en mai par le cyclone Mocha au Myanmar. MSF a offert consultations médicales et eau potable, et construit et réparé des latrines.
En septembre, nos équipes ont fourni des soins et du matériel médical après la destruction partielle de Derna, en Libye, à la suite d’inondations. Le même mois, nous avons offert un soutien en santé mentale aux personnes survivantes d'un séisme au sud-ouest du Maroc. En octobre, à la suite d’un autre séisme dans la province de Herat, à l'ouest de l'Afghanistan, nous avons aidé à soigner les gens blessés et donné du matériel indispensable.
Intervenir auprès des personnes marginalisées
Les autorités afghanes et yéménites marginalisent de plus en plus les femmes et les filles dans la société et réduisent considérablement leur accès à l'éducation et aux soins. En Afghanistan, nous devons déjà faire face à une pénurie de professionnelles qualifiées, indispensables pour soigner les femmes. Cette situation ne peut que s’aggraver avec l'interdiction faite aux femmes d'accéder à l'enseignement secondaire et supérieur. Ces deux pays exigent que les femmes se déplacent avec un parent (généralement masculin) lorsqu'elles quittent leur domicile. Au Yémen, de nombreuses familles n'ont pas les moyens de payer les frais de transport de deux personnes, au lieu d'une, pour se rendre à l'hôpital. En Afghanistan, les femmes doivent souvent attendre que quelqu'un soit disponible pour les accompagner, elles ou leur enfant, dans une structure de santé.
En 2023, nous avons continué de soutenir les personnes qui ont entrepris la dangereuse traversée du Darién Gap, la région très boisée entre la Colombie et le Panama, en direction du Mexique et des États-Unis. Plus d'un demi-million de personnes — dont de nombreuses familles et enfants — l’ont tentée, soit deux fois plus qu'en 2022. Nos équipes ont soigné des gens souffrant de maladies et de blessures causées par la dureté du voyage, ainsi que de nombreuses victimes de violence et d'agression sexuelle, au Panama et dans d'autres pays le long de la route migratoire, dont le Mexique, le Guatemala et le Honduras.
Nous soignons les personnes réfugiées, migrantes et requérantes d'asile qui ont subi les politiques migratoires inhumaines. De la mer Égée — où nous soignons les personnes arrivées sur les îles grecques — au Royaume-Uni — où nous avons ouvert en novembre un nouveau projet pour les individus demandant l'asile — en passant par les Balkans et la Libye, les politiques migratoires européennes ont de graves conséquences sur la vie des personnes en quête de sécurité.
Par ailleurs, la situation ne s'est pas améliorée pour les quelque 800 000 Rohingyas qui ont fui le Myanmar en 2017 pour se réfugier au Bangladesh. Nous continuons d’assurer des services médicaux pour les communautés réfugiées rohingyas, qui vivent toujours dans des camps surpeuplés et font face à une hostilité croissante de la part du gouvernement et des communautés locales. En outre, les coupes dans le financement mondial de l'aide — dont elles dépendent pour survivre — ont réduit la quantité de nourriture distribuée et augmenté la demande pour nos services.
Défis et victoires dans le traitement des maladies
Depuis la pandémie de Covid-19, nous avons assisté à une recrudescence des épidémies, en partie à cause du lourd tribut payé par les systèmes de santé et les campagnes de vaccination de routine. En 2023, nous avons soigné des milliers de personnes atteintes de maladies évitables par la vaccination, comme la rougeole, le choléra et l'hépatite. Nos équipes ont lutté pour répondre à une épidémie de diphtérie, une infection bactérienne potentiellement mortelle, qui a touché la Guinée, le Nigéria, le Niger et le Tchad, à cause d'une pénurie mondiale de vaccins et d'antitoxines utilisés pour le traitement.
Pendant l'année, les équipes de MSF ont soigné un nombre alarmant de gens souffrant de malnutrition au Nigéria, en Éthiopie, en Angola, au Yémen, en RDC, en Afghanistan et au Burkina Faso. Les personnes souffrent de malnutrition pour diverses raisons : un conflit qui bloque les approvisionnements ou entrave l'agriculture, les mauvaises récoltes, des prix alimentaires élevés, ou une aide alimentaire insuffisante pour les personnes déplacées.
L'année a toutefois été bonne pour la tuberculose (TB). En novembre, nous avons publié les résultats positifs de l'essai clinique endTB. Cet essai a défini trois nouveaux schémas thérapeutiques sûrs pour la TB multirésistante, qui sont plus efficaces et réduisent la durée du traitement jusqu'à deux tiers. Certains de ces schémas thérapeutiques utilisent la bédaquiline, dont le prix a été un obstacle à l'extension du traitement. Grâce au travail de la Campagne d'accès de MSF, le fabricant, Johnson & Johnson, a abandonné en septembre plusieurs de ses brevets secondaires sur le médicament, ce qui permet d'utiliser des versions génériques abordables dans les pays à revenu faible et intermédiaire. Le même mois, la pression exercée sur Cepheid, qui fabrique un dispositif de tests de diagnostic largement utilisé par MSF, et sur sa société mère Danaher, a porté ses fruits : elles ont accepté une réduction de 20% du prix de certains tests, y compris pour la TB.
En décembre, après trois ans d’intense plaidoyer de MSF, l'OMS a ajouté le noma à sa liste des maladies tropicales négligées. Le noma est une infection bactérienne non contagieuse qui touche principalement les enfants, en particulier en Afrique subsaharienne. Il est possible de la prévenir et de la traiter. Mais si elle n’est pas traitée, elle tue 90% des personnes atteintes. Figurer sur la liste de l’OMS devrait mettre en lumière cette maladie, faciliter l'intégration des activités de prévention et de traitement du noma dans les programmes de santé publique existants et encourager l'allocation de ressources indispensables à la lutte contre cette maladie.
Nous tenons à remercier chaleureusement le plus de 69 000 personnes qui ont travaillé au sein de MSF dans plus de 70 pays en 2023, souvent au péril de leur vie, pour soigner des communautés qui en ont besoin.
*Directrice et directeurs des opérations de MSF - Ahmed Abd-elrahman, Oliver Behn, Dr Marc Biot, William Hennequin, Dr Sal Ha Issoufou, Kenneth Lavelle, Teresa Sancristoval.