Souvent considérée comme une maladie du passé, la tuberculose (TB) tue pourtant plus que toute autre maladie infectieuse. Elle est aujourd’hui l’une des 10 premières causes de mortalité dans le monde.
On estime qu’elle serait responsable de 1,6 million de morts par an, soit le chiffre colossal de 4’400 vies perdues par jour.
Les dirigeants du monde ont fixé des objectifs ambitieux pour la combattre mais la réponse internationale à cette crise est honteusement inadéquate.
La TB résistante (TB-R) est causée par des bactéries devenues insensibles au traitement standard. Elle est très inquiétante et constitue un problème croissant dans bien des lieux où Médecins Sans Frontières (MSF) travaille.
Récemment encore, les traitements recommandés dans le monde pour la TB-R duraient jusqu’à deux ans. Ils impliquaient la prise de jusqu'à 14’600 comprimés, ainsi que des injections quotidiennes douloureuses aux effets secondaires dévastateurs (surdité, psychose). Les taux de guérison étaient très faibles pour la TB multi-résistante (TB-MR) et pour la TB ultra-résistante (TB-UR), des formes de TB résistantes y compris à un encore plus grand nombre de médicaments.
Aujourd'hui, il existe de nouvelles options thérapeutiques qui pourraient prévenir les décès liés à ces formes. Or, trop peu de patients les reçoivent.
Après le décès de sa mère d'une TB-MR, il y a cinq ans, Ankita Parab a appris qu'elle aussi en était atteinte. Après deux ans d’un traitement pénible, elle a été déclarée guérie. Plus tard, son frère est tombé malade, souffrant lui aussi de TB-MR. En 2016, quand son état s'est aggravé, le médecin l'a adressé à la clinique TB de MSF à Mumbai, en Inde, et il a vite reçu les nouveaux antituberculeux.
Ankita a fait le test de dépistage, via le traçage des contacts, un des services de prévention que MSF offre aux membres des familles des patients. Le résultat fut un terrible choc pour elle. Malgré son traitement précédent, Ankita avait développé une TB-UR, la forme la plus grave de la maladie.
Notre équipe de Mumbai a initié les nouveaux traitements antituberculeux en même temps chez Ankita et son frère. Mais, ce dernier était a un stade trop avancé de la maladie et il est mort peu après. Ce décès fut un deuxième choc pour Ankita qui se souvient avoir pensé : « Il a commencé son traitement ici ; donc, ce qui lui est arrivé pourrait m'arriver à moi aussi – Je ne suis pas une exception. Il se soignait mieux que moi ».
Respecter jusqu’au bout un traitement long et toxique sans encouragements ni soutien régulier peut s’avérer très difficile pour des patients souffrant de TB-R, surtout lorsqu'ils font face à des chocs personnels tels que le décès d'un proche, le chômage ou l'exclusion sociale par peur de la maladie. C'est pourquoi, un soutien psychosocial complet et un accompagnement pour surmonter l’angoisse et la dépression sont des composantes incontournables des programmes TB de MSF dans le monde.
Avec l'appui de sa famille, de ses amis, ainsi que du personnel médical et des psychologues de MSF, Ankita a été déclarée guérie en mai 2018 à l’issue de son traitement de deux ans contre la TB-UR. Des tests de suivi réalisés en novembre ont confirmé l'absence de rechute ou de récurrence de la TB.
La clé du succès de son traitement tient à deux nouveaux antituberculeux, la bédaquiline et le délamanide, qui améliorent nettement les taux de guérison de la TB-R et induisent moins d'effets secondaires.
Pourtant, ces traitements sont inaccessibles à la grande majorité des patients qui répondent aux critères de prescription. En 2018, les équipes médicales et la Campagne pour l'accès aux médicaments essentiels de MSF ont redoublé d’efforts pour résoudre cette impasse mortelle, par des projets de recherche clinique et un plaidoyer ciblé.
L'amélioration de la prise en charge se heurte à la nécessité de combiner plusieurs médicaments pour obtenir des schémas thérapeutiques efficaces contre la TB-R. Les firmes pharmaceutiques ont développé la bédaquiline et le délamanide isolément, et n'ont étudié ni la sécurité ni l'efficacité d'une combinaison de ces molécules avec les antituberculeux existants. Ce modèle dominant de recherche et développement fait manquer des opportunités et entraine des retards injustifiés dans l’arrivée de meilleures options de traitement.
Pour améliorer les chances de survie de nos patients, MSF mène avec des organisations partenaires des recherches cruciales qui visent à mettre en évidence des preuves de la valeur thérapeutique de nouveaux traitements contre la TB-R. Ces essais ne se termineront pas avant 2022 mais, sur la base des données de pharmacovigilance et des recherches opérationnelles en milieu clinique, l'Organisation mondiale de la santé a émis en 2018 de nouvelles recommandations de traitement pour la TB-R qui incluent l'utilisation de la bédaquiline.
La firme pharmaceutique Johnson & Johnson (J&J) détient les brevets sur la bédaquiline, mais elle n'est qu'un acteur parmi tous ceux qui ont contribué à l'effort collectif qui a permis de développer ce médicament et d’en démontrer l’intérêt thérapeutique. Un soutien est aussi venu de bailleurs publics et philanthropiques et d'une communauté médicale qui attendait avec impatience de meilleures options de traitement pour les patients atteints de TB-R.
À sa mise sur le marché en 2012, la bédaquiline était le premier médicament contre la TB-R développé depuis plus de 40 ans. Or, fin 2018, seuls 28’700 patients dans le monde en avaient reçu, soit moins de 20% de ceux qui auraient pu en bénéficier.
En 2018, MSF a dénoncé sans réserve cette absence de réponse à un besoin médical criant et le monopole injustifié de J&J sur l'accès à la bédaquiline et sur son prix. Nous avons exhorté l'entreprise à prendre rapidement des mesures pour garantir l’accès à prix abordable à ce médicament pour toute personne qui en a un besoin vital.
En nous fondant sur les efforts déployés conjointement pour établir la valeur clinique de la bédaquiline et l'analyse montrant qu'il est possible de produire et vendre rentablement ce médicament à 25 cents de dollar US par jour, nous avons appelé J&J à autoriser la production de versions génériques plus abordables et à baisser le prix de la bédaquiline à 1dollar US par jour maximum.
En octobre, MSF s'est joint à d'autres organisations de la société civile pour interrompre la cérémonie d'ouverture de la 49e Conférence mondiale de l'Union sur la santé respiratoire à La Haye, afin de réitérer ces appels. En amont de la toute première réunion de haut niveau des Nations Unies sur la tuberculose en septembre, nous avons appelé les dirigeants du monde à traduire leurs ambitieux engagements à combattre la TB en actes véritablement audacieux pour sauver des vies, y compris par la généralisation des médicaments et tests de diagnostic existants et le développement et la mise sur le marché d’outils plus simples, plus sûrs et plus rapides pour demain.
Nous aspirons toujours à fournir les meilleurs traitements possibles à nos patients tuberculeux. C’est pourquoi nous ferons toujours pression sur les gouvernements et les firmes pharmaceutiques afin qu’ils respectent leurs engagements à réduire la souffrance et la mortalité liées à cette terrible maladie.
En 2018, MSF a fourni des traitements antituberculeux à 19’400 patients, dont 2’840 atteints de TB-MR. La Campagne pour l'accès aux médicaments essentiels de MSF a été lancée en 1999 pour réclamer le développement et l’accès à des médicaments, tests de diagnostic et vaccins vitaux pour les patients soignés dans les projets de MSF et au-delà.